Le silence dans l'Énéide
C’est à la fin du 1er siècle avant Jésus-Christ que le poète latin Virgile signe l’œuvre de sa vie,
qui est considéré comme l’un des textes les plus importants de la culture occidentale : l’Énéide.
Cette épopée relate, sur près de 10.000 vers, les aventures du fondateur de Rome, Énée. Contraint de fuir
sa ville natale qui a été réduite en cendres par les guerriers grecs, Énée s’embarque dans un long et périlleux
voyage qui le mènera jusqu’en Italie, où les dieux lui ont intimé l’ordre de construire une ville nouvelle,
qui ne sera autre que Rome. L’Énéide est le récit de cet incroyable voyage et des nombreuses batailles que
le héros mènera en Italie.
Depuis sa parution, l’Énéide a suscité l’intérêt de centaines de commentateurs, qui ont lu, scruté et
analysé le texte au fil des siècles, dans les monastères comme dans les universités. Les documents émanant de
leurs réflexions sont tout simplement innombrables. Un héritage aussi vaste laisse sans voix.
Une question me taraudait cependant : était-il encore possible d’écrire même une ligne sur ce sujet tant et tant
travaillé ? Tous les points de vue avaient-ils été écumés ? Amusée, j’ai décidé de prendre le problème à l’envers : si
chaque phrase, chaque mot de ce poème a été analysé, il ne devait rester qu’une seule chose à investiguer.
Le silence.
Pour tirer une interprétation originale en partant de ce point de vue, il s’agissait de lister tous les
passages du texte où des personnages, où le narrateur (et même la nature) demeuraient silencieux. Petit à petit,
une toile s’est dégagée. Toutes ces situations étaient profondément liées entre elles. À relire le texte, les choses
s’éclairaient d’une façon nouvelle : la raison pour laquelle le poète avait choisi telle expression plutôt que tel
autre, la cause du silence de ce personnage à ce moment précis de l’intrigue… tout se tenait. Et surtout, cette trame
dotait le récit d’un sens inattendu.
Les résultats de ces deux années d’investigation sont présentés dans mon premier livre,
Le silence dans l’Énéide.
Théodore BOERMANS pour Yoneko NURTANTIO - Le silence, en image, dans mon Énéide personnelle (2014) ©
Cette image, réalisée par le photographe Théodore Boermans, montre la jonction des deux premières pages
d’un livre, vides. Le silence dans l’Énéide, c’est littéralement ça. En se présentant dans ce sens, la photo esquisse aussi
une ligne d’horizon : on croit voir une grande étendue d’eau calme, avec un promontoire brumeux au loin. Un deuxième sens parfait, puisque le récit
se passe en grande partie sur les flots.
Merci, Théo !
Texte : Yoneko NURTANTIO ©
The Silence in the Aeneid
At the end of the first Century B.C., Latin poet Vergil signed his grand oeuvre and one of the most prominent works of
the Western world: the Aeneid. This very long epic story tells the adventures of the founder of Rome, called Aeneas.
The hero will have to flee his city, burnt and destroyed by the Greeks, and to go on a long and dangerous journey in order to join Italy,
where he has been instructed by the gods to build a new town, namely Rome. The Aeneid is the story of his fantastic journey and of
the wars he had to wage in Italy.
This epic has raised the interest of hundreds of scholars since the earliest times of its creation. Therefore it has been
analysed and scrutinised in monasteries as in universities for generations. It has inspired countless books, literature, commentaries
and interpretations.
Such a vast heritage cannot but impress. I wondered whether there remained anything to write on this subject, whether any
single point of view had already been taken to consider this masterwork. This was the starting point of my research. I was led to ask
myself a simple question: if I limited myself to consider only the parts where silence occurred in the text, would that mean
I would obtain a different interpretation?
So I undertook to analyse the text from the point of view of the recurrent references to silence. Having listed the situations
where the characters, the nature or the narrator remained silent, I began to distinguish the thread which linked them all, like an
imperceptible spider web. I understood at once why the poet had chosen to use that expression rather than that one; why the hero
remained silent in front of this situation, not in front of that other. And it all made sense. It revealed a so far unconsidered
side of the story. And it led to unexpected conclusions.
My findings made throughout this two-year research project are presented in my first book, The Silence in the
Aeneid.
Texte : Yoneko NURTANTIO ©